Jean François Husson
Coordinateur de l'ORACLE
Chercheur-associé Université de Liège
Le dispositif de reconnaissance et de financement des communautés convictionnelles s’applique à l’ensemble des cultes et communautés non confessionnelles reconnus en Belgique. Ses bases ont été fixées par le Constituant de 1831 qui a reconnu leur utilité sociale, c.-à-d. leur contribution au maintien de l’ordre établi.
Tout en reprenant les instruments de financement instaurés par le Concordat français de 1801, il s’éloignait toutefois de ce dernier par le peu de mécanismes de contrôle. Ces instruments ont connu peu de changements au fil du temps, en dépit de l’ouverture à de nouveaux bénéficiaires – tel le culte islamique en 1974 ou la laïcité organisée à partir de 1981– et de la régionalisation partielle du temporel des cultes au 1er janvier 2002. L’important délai entre la reconnaissance du culte islamique et la concrétisation de son financement ne provient donc pas d’un statut de moindre importance accordé à l’islam mais des problèmes d’organisation et de reconnaissance des communautés islamiques locales. Le financement public, que détaille le présent article, est en effet largement lié à ces dernières (pour un relevé détaillé, voir Husson, 2010).
La subvention à l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB)
L’EMB est un des rares organes représentatifs à bénéficier d’une subvention de fonctionnement. Celle-ci vise à couvrir « la rémunération du personnel, le coût d’achat, de location et d’aménagement des locaux, le coût d’acquisition des équipements et fournitures nécessaires ainsi que tous les autres frais de fonctionnement, directs et indirects, se rapportant à la structuration de l’activité de l’Exécutif » (Arrêté royal du 3/7/1996). En 2005, le crédit a également pris en compte le coût de l’organisation des élections pour l’EMB.
Tabl. 1. Subvention à l’EMB (en milliers EUR)
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1995 |
2000 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
Budget ajusté |
74 |
545 |
1180 |
1314 |
996 |
923 |
426 |
450 |
450 |
Réalisé |
59 |
0 |
831 |
1314 |
896 |
183 |
383 |
386 |
n.d. |
Sources : Budget général des dépenses - DO 59 (montants des crédits d'ordonnancement / de liquidation).
Destinée à faciliter l’organisation des communautés locales, cette subvention devait disparaître une fois les traitements des imams et les déficits des communautés islamiques pris en charge par les pouvoirs publics. Considérant la diversité des situations entre communautés convictionnelles et la nécessité d’assurer le fonctionnement des organes représentatifs, cette subvention devrait être pérennisée, dans la ligne des recommandations de la Commission « des sages » (2005-2006) et du Groupe de travail instauré à sa suite (Christians, Magits, Sägesser, & De Fleurquin, 2010).
Les traitements et pensions des ministres des cultes
Le cadre, nombre théorique de ministres dont chaque culte peut disposer, repose sur les postes attribués d’une part aux communautés locales et d’autre part à son organe représentatif (Husson, 2005). Les ministres du culte ont un statut sui generis (Beumier, 2006), leurs traitements étant fixés par la loi 2 août 1974 (v. Tableau 2).
Tableau 2. Traitements annuels - ministres du culte islamique
Secrétaire général de l'Exécutif des Musulmans de Belgique |
43 228 EUR |
Secrétaire de l'EMB |
20 500 EUR |
Secrétaire adjoint de l'EMB |
16 994 EUR |
Imam 1er en rang |
18 653 EUR |
Imam 2e en rang |
15 841 EUR |
Imam 3e en rang |
13 409 EUR |
NB : à multiplier par 1,5460 pour obtenir les montants d’application à partir de juin 2011.
Les crédits, prévus dès 2002 (v. Tableau 3), ont été utilisés à partir de fin 2006 pour les postes de l’EMB puis à partir de 2009-2010 pour les imams, en fonction de la reconnaissance des mosquées.
Tableau 3. Ministres du culte islamique : budgets et postes
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2002 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
Nombre de postes |
Cadre |
- |
325 |
325 |
440 |
249 |
n.d. |
173 |
n.d. |
Occupation prévue (b) |
- |
245 |
276 (c) |
245 |
146 |
n.d. |
148 |
n.d. |
Millions EUR |
Budget initial |
0,5 |
4,8 |
5,2 |
5,7 |
3,5 |
4,3 |
3,0 |
3,0 |
Réalisé |
0,0 |
0 |
0,1 |
0,1 |
0,2 |
0,4 |
1,0 |
n.d. |
Sources : documents budgétaires.
(a) Nombre de postes que l’autorité fédérale a attribué ou compte attribuer.
(b) Nombre de postes que l’autorité fédérale estime voir occupés durant l’année.
(c) Dont 2 postes effectivement occupés.
Derrière ces effectifs se présentent plusieurs problématiques sensibles, dont principalement celles :
- de la formation (Commission chargée de l’examen du statut des ministres des cultes reconnus, 2006 ; Husson, 2007 ; Husson & Dury, 2006) ; en Flandre, la participation de l’imam au parcours d’intégration civique (inburgeringsbeleid) est d’ailleurs un des éléments pris en compte dans le dossier de reconnaissance d’une mosquée ;
- des mosquées de la Diyanet (directorat turc des affaires religieuses), qui reçoivent des imams envoyés par le gouvernement turc, restant en Belgique quatre ans maximum, ce qui pose la question de ministres des cultes dépendant d’un Etat étranger et de la cohérence d’avoir des mosquées reconnues dont le déficit est pris en charge par les pouvoirs publics belges alors que les imams sont désignés et payés par un Etat étranger.
Les communautés islamiques
Une mosquée reconnue devient une communauté islamique, gérée par un comité islamique. Depuis 2002, les Régions sont compétentes pour la reconnaissance et le fonctionnement des communautés cultuelles locales et ont adopté leurs propres dispositions en la matière (Sägesser, 2007). 75 mosquées sont aujourd’hui reconnues : 43 en Wallonie (2007), 24 en Flandre (2007, 2009 et 2011) et 8 en Région de Bruxelles-Capitale (2007 et 2010).
Tableau 4. Critères de reconnaissance des communautés locales
Région flamande (décret du 7 mai 2004 et arrêtés d’exécution) |
Wallonie (loi du 4 mars 1870 et arrêtés d’exécution du 13/10/2005) |
Région de Bruxelles-Capitale (ordonnance du 29 juin 2006) |
Viabilité financière (plan financier) ; intérêt social (nombre estimé de fidèles ; intégration dans la vie locale : utilisation du néerlandais dans les contacts avec les fidèles et tiers ; contacts avec les autorités civiles ; …) ; application de la législation linguistique ; respect des dispositions en matière d’inburgering ; engagement de ne pas aller à l’encontre de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. |
Pas de critères. Dans l’attente d’un décret, maintien de l’approche fédérale antérieure (minimum 200 fidèles). |
Minimum 200 inscrits au registre de la mosquée ; avis du collège des bourgmestre et échevins ; bâtiment conforme aux normes de sécurité et à la législation urbanistique en vigueur.
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Leur déficit ainsi que la prise en charge des grosses réparations de l’édifice du culte constituent des dépenses obligatoires pour les provinces et la Région de Bruxelles-Capitale, qui doivent également fournir un logement au ministre du culte ou lui verser une indemnité compensatoire. Les crédits budgétaires, inscrits depuis le début des années 2000, ne sont consommés que depuis 2009, l’absence de comité islamique dûment constitué ayant empêché tout versement auparavant.
Tableau 5. Crédits en faveur des communautés islamiques (en euros) (a)
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Provinces wallonnes |
Provinces flamandes |
Région de Bruxelles-Capitale (crédits d'ordonnancement) |
2006 |
41 732 |
0 |
300 000 |
2007 |
41 792 |
0 |
300 000 |
2008 |
141 791 |
0 |
300 000 |
2009 |
161 792 (b) |
254 220 |
320 000 |
2010 |
n.d. |
n.d. |
431 000 |
2011 |
75 675 (c) |
537 929 (c) |
431 000 |
Sources : documents budgétaires et parlementaires ; articles de presse.
(a) Inscriptions budgétaires. Les réalisations diffèrent fortement.
(b) Situations très diversifiées selon les provinces. Pas de liquidation, hormis +/- 20 000 EUR pour le logement des imams.
(c) Déficit des communautés islamiques uniquement.
La reconnaissance comme communauté islamique peut amener de profonds changements dans le fonctionnement des mosquées constituées en ASBL. Ainsi, le déficit pris en charge n’intègre que les dépenses liées à l’exercice du culte, à l’exclusion des activités de bienfaisance, culturelles, sportives ou, p. ex., de rapatriement des corps de défunts.
Les communautés islamiques reconnues peuvent bénéficier d’interventions régionales pour leurs lieux de culte dans le cadre des dispositions relatives aux travaux subsidiés.
Enfin, certaines communes interviennent pour assurer la logistique de certaines fêtes religieuses, mettre des locaux à disposition (parfois en céder pour un euro symbolique) ou octroyer un subside, facultatif et le plus souvent symbolique.
Les aumôniers
Au sein des établissements pénitentiaires, l’arrêté royal du 25/10/2005 fixant le statut administratif et pécuniaire des aumôniers, conseillers musulmans et assistants moraux a établi un cadre de 25 aumôniers catholiques, 18 conseillers islamiques, 6 aumôniers protestants, 4 orthodoxes, 2 israélites, 1 anglican et 9 conseillers moraux.
A l’heure actuelle, il n’y a pas d’aumônier musulman officiellement désigné au sein de la Défense. Le processus est en cours et l’organigramme de l’aumônerie fait déjà apparaître le culte islamique.
A notre connaissance, aucune donnée globale récente n’existe quant aux moyens consacrés à l’assistance morale et religieuse en milieu hospitalier et à leur répartition. Des défraiements en faveur d’intervenants musulmans existent mais restent impossibles à chiffrer.
Plusieurs « professeurs de religion islamique » officient dans les Institutions Publiques de Protection de la Jeunesse (IPPJ) de la Communauté française, à côté d’un aumônier catholique et de conseillers laïques. La situation actuelle en Communauté flamande ne nous est pas connue avec précision.
Les émissions de radio et de télévision
Les cultes reconnus et la laïcité organisée bénéficient d’une aide financière ou matérielle pour la réalisation d’émissions diffusées par les chaînes publiques. A l’heure actuelle, le culte islamique en bénéficie en Flandre. Le retard en la matière semble tenir avant tout à des questions d’organisation interne.
L’exonération de précompte immobilier
Les lieux de culte (sans limitation aux seuls cultes reconnus) et les bâtiments affectés à l’assistance morale non confessionnelle bénéficient d’une exonération de précompte immobilier. Sur base de l’indexation d’une estimation antérieure (Husson, 2000, p. 70), la moindre recette pour les pouvoirs publics liée aux lieux de culte musulmans peut être estimée entre 110 000 et 200 000 EUR, sans prendre en compte de nouveaux bâtiments ou l’extension de bâtiments existants.
Les professeurs de religion
Suite au Pacte scolaire de 1958, les écoles organisées par les pouvoirs publics doivent offrir le choix, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle. Cette obligation figure depuis 1988 à l’art. 24 de la Constitution. Dans ce domaine, la reconnaissance de l’islam s’est concrétisée rapidement puisque des cours furent organisés dès l’année scolaire 1975-76 dans le réseau officiel. Afin de répondre rapidement à la demande, des professeurs furent engagés sans les titres requis, ces problèmes de formation initiale amenant à l’organisation de cours de remise à niveau, avec évaluation à la clé, à la fin des années 1990 (Communauté flamande) et au début des années 2000 (Communauté française). Une école fondamentale musulmane est reconnue et subsidiée par la Communauté française à Bruxelles.
En 2000, le cours de religion islamique regroupait 51 414 élèves pour un coût estimé à 19,5 millions EUR (Husson, 2000, p. 76), soit plus de 26 millions EUR aujourd’hui compte tenu de l’indexation.
Remarques conclusives
Au contraire de la France où la gestion de l’islam a amené à questionner la loi de 1905, la reconnaissance de l’islam en Belgique s’est inscrite dans un dispositif qui a pu s’ouvrir à de nouveaux bénéficiaires. Si elle a pu se concrétiser rapidement en matière d’enseignement, cela a été beaucoup plus lent (plus de 30 ans) pour la prise en charge des traitements de ministres des cultes et des déficits des établissements cultuels. Les problèmes rencontrés dans la mise sur pied d’un organe représentatif expliquent en bonne partie ces retards puisque, comme nous l’avons montré, des moyens étaient prévus au sein du budget du SPF Justice.
La part du culte islamique dans les prévisions budgétaires relatives au financement public des communautés convictionnelles est passée de 0,3% en 2000 à 2,9% en 2004/2005, pourcentage resté stable depuis. Ce n’est toutefois que depuis peu que ces crédits commencent à être utilisés, preuve ultime de la concrétisation de la reconnaissance de l’islam.
En conclusion, je souhaiterais souligner que le culte islamique est traité sur le même pied que les autres cultes et bénéficie de financement à l’avenant. Cela étant, les problèmes récurrents de fonctionnement de l’organe représentatif sont des plus sensibles et peuvent facilement bloquer toute la mécanique. La réussite du renouvellement des instances de l’Exécutif des Musulmans de Belgique sera dès lors un enjeu majeur.
Orientations bibliographiques
Beumier, M. (2006). Le statut social des ministres des cultes et des délégués laïques. Courrier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information socio-politiques(1918), 2-32.
Christians, L.-L., Magits, M., Sägesser, C., & De Fleurquin, L. (2010). La réforme de la législation sur les cultes et les organisations philosophiques non confessionnelles. Rapport du groupe de travail instauré par Arrêté royal du 13 mai 2009. Bruxelles.
Commission chargée de l’examen du statut des ministres des cultes reconnus. (2006). Le financement par l’Etat fédéral des ministres des cultes et des délégués du Conseil central laïque. Bruxelles: Service Public Fédéral Justice.
Husson, J.-F. (2000). Le financement des cultes, de la laïcité et des cours philosophiques. Courrier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information socio-politiques(1703-1704).
Husson, J.-F. (2007). La formation des imams en Europe. Etat des lieux. Bruxelles : Fondation Roi Baudouin.
Husson, J.-F. (2010). Les montants affectés aux cultes et à la laïcité. In C. Sägesser & J.-P. Schreiber (Eds.), Le financement public des religions et de la laïcité en Belgique (pp. 43-69). Louvain-la-Neuve: Academia Bruylant.
Husson, J.-F. (Ed.). (2005). Le financement des cultes et de la laïcité : comparaison internationale et perspectives. Namur: Editions namuroises.
Husson, J.-F., & Dury, J. (2006). Pour une formation des imams en Belgique. Points de référence en Belgique et en Europe. Bruxelles : Fondation Roi Baudouin.
Sägesser, C. (2007). Le temporel des cultes depuis sa régionalisation. Courrier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information socio-politiques(1968), 50.
Sägesser, C., & Schreiber, J.-P. (Eds.). (2010). Le financement public des religions et de la laïcité en Belgique. Louvain-la-Neuve: Academia Bruylant.
Sägesser, C., & Torrekens, C. (2008). La représentation de l'islam. Courrier hebdomadaire du Centre de recherche et d'information socio-politiques(1996-1997), 3-55.
Sepulchre, V. (2005). Le financement des cultes et de la laïcité : aspects fiscaux. In J.-F. Husson (Ed.), Le financement des cultes et de la laïcité : comparaisons internationales et perspectives (pp. 216-242). Namur: Editions namuroises.
Ce dossier est légèrement adapté d'un texte du même auteur publié dans le n° de Signes des temps de janvier-février 2012 portant sur "Quelle équité dans le financement des cultes ?".
Pour citer cette page :
Husson, J.-F. (2012, 31 mars). Le financement public de l'islam en Belgique Retrieved JJ-MM, AAAA, from http://www.centre-craig.org/categorie/financement-public-de-l-islam.html